Un genre blog? Appel à contribution pour une journée d’études en juin 2008
Organisatrices: Christèle Couleau et Pascale Hellegouarc’h – CENEL, Université Paris 13.
Date limite de proposition: 30 octobre 2007
Le projet général :
Les blogs forment un corpus à la fois massif et très hétérogène. Leur nombre croissant, au-delà du phénomène de mode, marque un retour en force du « je », s’énonçant à travers une large variété de thèmes, de styles, d’approches. Qu’ils le théorisent eux-mêmes ou que leur pratique seule le signale, ils apparaissent donc comme un lieu d’expression spécifique, adapté à de nouvelles contraintes et générant de nouveaux codes. Cette journée d’étude ouvrira un séminaire dont l’objectif sera d’observer les blogs, afin d’étudier notamment la façon dont ils repensent les champs de l’écriture et de la publication – création, édition, liberté d’expression, réseaux de sociabilité, légitimité des écrits, frontières des genres…
Cette perspective suppose la collaboration de chercheurs travaillant sur différents domaines (médias, littérature, politique, sociologie culturelle, etc.), elle implique aussi une relation étroite avec les acteurs de l’univers du blog. Outre sa dimension scientifique, ce séminaire souhaite donc être un espace d’échange et de rencontre.
La journée d’études : Un genre blog ?
Il ne s’agirait pas de faire à tout prix du blog un genre nouveau, mais, en jouant sur la polyphonie du terme, de poser de cette façon la question des modalités d’écriture et des horizons d’attente que ce mode d’expression programme à travers la diversité de ses actualisations. D’où une tentative de définition, non seulement en tant qu’objet technologique et fonctionnel (ce par quoi le blog se différencie d’autres formes d’écriture sur internet), mais aussi en tant qu’objet esthétique. Peut-être trouverait-on un point de départ dans la notion d’essai, au sens où l’entendait Montaigne. On observerait en particulier en quoi le blog travaille les genres constitués par un déplacement qui est, peut-être, un renouvellement. On pourrait ainsi voir comment, par exemple, la lettre, le récit littéraire, l’aphorisme philosophique, la critique esthétique, l’éditorial journalistique, l’analyse sociologique ou le discours politique sont investis, réécrits, modifiés, critiqués, parodiés… Les enjeux de telles appropriations, dont il faut rappeler le caractère personnel, généralement revendiqué, vont du jeu à l’engagement le plus entier, en passant par la concurrence, la distanciation, la contestation. Elles débouchent sur l’instauration de nouveaux modes d’intervention dans l’espace public, la mise en place d’autres critères de légitimation, la création de circuits parallèles d’appréciation. Sans aller jusqu’à invoquer l’exemple de Second life on peut constater une forme de virtualisation de la sphère socioculturelle.
Parmi les pistes abordées on pourrait suggérer les thèmes suivants :
– L’écriture peut tout d’abord supposer l’adhésion à un genre constitué (roman, poème, aphorismes, récit de voyage, journal intime, discours, essai, critique, article de journal, etc.), dont il faudrait étudier l’éventuelle distorsion dans l’actualisation particulière qu’en propose le blog. Elle peut au contraire choisir le porte-à-faux, soit par la revendication d’une nouvelle forme littéraire, soit par une recherche de style, de ton, de perspective, de regard qui, tout en dépassant le strict souci informatif et argumentatif, ne cherche pas une caution générique. L’écriture du blog implique aussi une conscience accrue de « l’image du texte », de « l’énonciation éditoriale » (Jeanneret, Souchier) qu’il met en place. On pensera notamment à des modes d’écriture ou de signature qui, sans être propres à internet, sont encouragés par ce cadre : arborescence, interactivité, prégnance de l’image et du graphisme…
– Ce désir d’écrire autrement peut faire du blog un lieu de contestation des institutions (littéraires, éditoriales, médiatiques, éducatives…), un espace d’émergence, réelle ou supposée, de contre-pouvoirs ou de pouvoirs parallèles. C’est aussi un lieu d’engagement créatif : manifestes, implication des internautes, appel à la discussion, à la prise d’initiative. Ce positionnement invite à réfléchir sur des notions telles que la démocratie participative, les communautés (idéologiques ou thématiques), les écritures du collectif (ateliers, oeuvres collectives ou interactives…). Il débouche sur une culture du « happy few » : création de communautés d’auteurs et de lecteurs, larges ou plus restreintes (phénomène des blogs privés) ; paroles de connaisseurs, lexique à inventer (néologismes, plurilinguisme) ; culte de la « niche » ; constitution de réseaux de sociabilité parallèles (nouveaux cénacles ou salons littéraires), jeux sur les identités pseudonymiques, les postures, les allusions, la connivence (textes à clés)…
– L’objet de l’écriture du blog est variable, mais reste configuré selon quatre axes. D’un côté les « choses vues », qui tirent le blog vers le journal, le bloc-notes, l’écriture fragmentaire, et l’orientent vers le réel. De l’autre, l’extimité (Tisseron), qui tend vers une écriture publique de l’intime, entre exposition de soi et mise en débat, égocentrisme et engagement. Le rapport à l’identité, et l’affirmation du genre sexuel pourraient s’inscrire dans ce cadre. Puis le savoir, qui fait du blog le lieu privilégié d’un partage des connaissances et des savoir-faire, un outil de vulgarisation ou d’apprentissage. Enfin, la création littéraire ou artistique. Les quatre peuvent bien sûr se rejoindre, par exemple dans certaines formes du journal intime.
– Le geste créateur suppose aussi une réflexion spécifique. La première question est celle de ses modalités. A-t-il lieu directement sur la page web, ou bien a-t-il ses brouillons, ses étapes préalables, voire ses variantes « papier » ? Comment se rattache-t-il à une identité (pseudonyme), à une communauté ? Quelle est sa pâte, son empreinte, sa trace ? Quelles sont ses contraintes matérielles ou morales (morcellement, taille, périodicité, fixité des formes, contraintes techniques, contrat avec les lecteurs, autocensure, etc.). La seconde question est celle de ses motivations. Qu’est-ce qui détermine la prise de parole ? Quelle forme d’engagement, de désinvolture ou de mise à distance suppose-t-elle ? Pourquoi choisir le blog plutôt qu’un autre support ? Que vise, et qui vise, celui qui écrit par ce biais ? La question ne se pose d’ailleurs pas du seul point de vue de celui qui tient un blog : elle est intéressante aussi du côté du lecteur, invité, la plupart du temps, à réagir.
– L’activité du lecteur est donc aussi une piste de réflexion importante. On peut chercher quelle est la part du lecteur, intervenant sur la création (interactivité) ou l’évaluation de l’oeuvre (réception) ; et la marge de liberté qu’on lui donne (totale, ou limitée par des domaines réservés). On peut aussi se demander ce qui provoque le désir d’écrire à son tour, à visage découvert ou abrité par un pseudonyme. Les modalités de cette écriture la rapprochent-elles de la lettre à l’écrivain ? du regard critique ? du commentaire de consommateur ? de l’émulation créatrice, lorsque le commentaire s’inscrit dans le projet d’écriture, voire vise à égaler le texte initial ?
– Le rapport à la temporalité s’avère donc complexe : effacement de « l’oeuvre » au profit d’un work in progress potentiellement infini ; bouleversement de l’ordre écriture/achèvement de l’oeuvre/lecture ; immédiateté et discontinuité de la lecture… D’où des problématiques mémorielles : genèse textuelle, souci de laisser une trace, relation à la postérité…
– La redéfinition de la valeur, enfin, nous semble essentielle. Eviter la sanction éditoriale, c’est aussi se priver de sa sanctification et de son système de légitimation. D’où la question de la « poubellication » (Lacan). Mais aussi les problèmes posés par la démultiplication des jugements de valeur dans les commentaires et plus généralement de l’« autoritativité » (Evelyne Broudoux). Beaucoup de blogs posent plus ou moins directement la question de la légitimité de celui qui parle : sa présentation (portrait formel, ironique ou intimiste, en quidam ou en spécialiste), son rattachement à une institution (ou son refus de s’y rattacher), sont autant d’indices indiquant d’où il parle…
Contact
CfP: Un genre blog? 30.10.2007, Paris
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